Conseils notaires

SOCIETE CIVILE ET CLAUSE DE TONTINE

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La réserve héréditaire est une spécificité française dont l’objectif est d’éviter une exhérédation totale des descendants. Pourtant la clause de tontine technique basée sur l’aléa a in fine pour résultat de priver les héritiers réservataires de leurs prérogatives. Cette clause peut être insérée dans des statuts de société civile.
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Alexandra ARNAUD-EMERY Consultante droit des affaires NCE

A la différence de la technique du démembrement croisé qui entend conserver les droits des descendants, la stipulation d’une clause de tontine a pour effet de supprimer les droits des descendants.

La clause de tontine ou clause d’accroissement est la clause par laquelle les acquéreurs d’un même bien conviennent que l’acquisition sera réputée faite pour le compte du seul survivant d’entre eux, dès le jour de l’acquisition, à l’exclusion des prémourants, qui sont rétroactivement censés n’avoir jamais été propriétaires. La jurisprudence reconnaît la validité du pacte tontinier inséré dans les statuts d’une société (une SCI en l’espèce).

Le fonctionnement de la clause

Dès lors que la clause stipule que les associés « auront chacun leur vie durant, la jouissance des parts sociales qui leur sont attribuées », il convient de se reporter aux statuts pour déterminer les règles applicables à cette société en cours de vie. En revanche, lorsque survient le premier décès, les droits de l’associé prémourant sont rétroactivement effacés par suite du décès, les associés survivants étant alors réputés avoir été seuls titulaires des parts sociales dès la constitution de la société. Dans ce cas le titulaire définitif de toutes les parts est déterminé par l’ordre des décès ; chaque associé est donc propriétaire tant de ses propres parts sociales, sous la condition résolutoire de son prédécès, que des parts des autres associés, sous la condition suspensive de sa survie à tous ces derniers, de sorte que le décès de chaque associé constitue seulement une condition, laquelle une fois accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté, suivant les termes de l’article 1179 du Code civil – dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations, qui prévoyait que la condition suspensive était nécessairement rétroactive – c’est-à-dire à la date de la constitution de la société.

Les pré-requis

La clause doit avoir un caractère aléatoire. Une différence d’âge trop importante entre les deux tontiniers est à proscrire comme l’hypothèse d’un état de santé dégradé de l’un d’entre eux au jour de la constitution de la société. L’administration fiscale veille au respect de cet aléa et n’hésite pas à redresser sur le fondement de l’abus de droit des opérations qui seraient dépourvues d’aléa. Un avis du Comité de l’abus de droit a d’ailleurs très récemment considéré que l’acquisition en tontine, par des époux séparés de biens, d’un immeuble financé exclusivement par le mari, moins de deux mois avant son décès, alors que ce dernier, ancien médecin, était notoirement malade encourt la requalification en donation déguisée, faute d’aléa (Avis CADF/AC 6-5-2021 n°4/2021 aff. 2021/8).

La validité de la clause repose également sur une parité de contribution des associés.

La société doit conserver son caractère pluripersonnelle s’agissant d’une société civile. La doctrine souligne qu’une telle clause pourrait entraîner la nullité de la société si, en présence de deux associés, elle portait sur la totalité des parts sociales. En effet, par le jeu de la rétroactivité de la condition, la mise en œuvre de la clause aboutirait à devoir considérer que la société a été constituée par un seul associé. La société serait donc nulle sur le fondement des articles 1832 et 1844-10 du Code civil. On peut facilement concevoir qu’un héritier réservataire, évincé par la clause d’accroissement, recherche une telle nullité.

En résumé, pour que cette stratégie de constitution d’une société, avec insertion d’un pacte tontinier, soit valable, il faudra impérativement respecter les règles suivantes :

  • ne pas appliquer le pacte tontinier à l’ensemble des parts sociales, ou associer un tiers au capital de la société civile afin d’éviter, par le jeu de la rétroactivité des conditions suspensives, que le survivant des associés ne devienne seul détenteur de toutes les parts sociales ;
  • respecter l’aléa du contrat par des chances de survie des concubins (peu de différence d’âge entre les associés, associé non atteint par une maladie grave) ;
  • respecter le caractère onéreux du contrat par une constitution de société où les associés ont effectué des apports équivalents ;
  • s’assurer du fonctionnement réel de la société par les tenues d’une comptabilité et des assemblées générales, l’existence d’un compte bancaire.

Depuis le 1er octobre 2016, afin que la suppression du principe de l’effet rétroactif de la réalisation de la condition suspensive ne remette pas en cause la clause de tontine sur le fondement de la nullité des pactes sur succession future, le praticien doit prendre soin de stipuler que la condition suspensive de la survie de chacun des tontiniers aura un effet rétroactif par dérogation au principe légal.

Les intérêts

Le pacte tontinier est un contrat à titre onéreux, il est donc hors succession, il n’est donc pas soumis à réduction.

Le pacte tontiner protège. Les biens acquis en tontine sont insaisissables. Le but évident du pacte tontinier est de protéger à l’avance les droits du survivant et d’éviter que des tiers ne viennent s’immiscer dans les affaires des coacquéreurs. Le principal souci est, au surplus, de maintenir les droits acquis dans le patrimoine de leurs titulaires ; cet objectif ne serait pas atteint si l’un des intéressés pouvait s’endetter et subir ensuite les poursuites de ses créanciers sur les biens acquis en tontine. Il est donc logique de considérer que les créanciers de l’un des coacquéreurs ne peuvent saisir les biens en cause, au cours de la période qui précède le premier décès.

La clause de tontine dans les statuts de SCI fait l’économie d’une union. En application de l’article 754 A du CGI, lorsqu’un bien immobilier est recueilli en vertu d’une clause de tontine dans le cadre d’une acquisition en commun, la part recueillie est taxée aux droits de succession applicables en fonction du lien de parenté, sauf cas particuliers. En revanche, lorsque les parts sociales sont recueillies en vertu d’une clause de tontine insérée dans les statuts d’une SCI, la part dévolue est taxée aux droits de mutation à titre onéreux (BOI-ENR-DMTG-10-10-10-10, n° 280), soit à 5 %. En d’autres termes, la clause de tontine insérée dans des statuts de SCI permet aux concubins de faire l’économie de droits à 60 %.