Conseils notaires

SOCIETE CIVILE ET DEMEMBREMENT AB INITIO

Partager
Lorsque dans une même phrase sont employés les termes : « montages, apport en société civile et démembrement de parts sociales », le praticien est toujours soucieux de la validité et des risques inhérents aux opérations envisagées. Dans ce contexte, revenons sur le démembrement ab initio.
portait-alexandra-arnaud-emery
Alexandra Arnaud Emery CONSULTANTE DROIT DES AFFAIRES NCE

La question est simple : est-il possible en présence d’apports en numéraire de prévoir dès la souscription du capital qu’une partie des associés (en principe les parents) recevront l’usufruit des parts sociales et l’autre partie des associés (par suite les enfants) la nue-propriété desdites parts sociales ?

Procéder de cette manière permet d’économiser les frais d’une donation portant sur la nue-propriété des parts sociales par les parents aux enfants. Dit autrement, pourquoi mettre l’opération en place en deux étapes : attribution aux parents de la pleine propriété des parts sociales par suite d’un apport en numéraire effectués par ceux-ci pour qu’ils donnent en suivant la nue-propriété des parts sociales à leurs enfants, alors qu’il suffit de stipuler dans les statuts que chacun a fait un apport en numéraire et qu’ils sont respectivement rémunérés par des droits démembrés ?

Le démembrement ab initio, quoique pratiqué de longue date, fait néanmoins l’objet de nombreuses critiques (V. surtout Jean-Pierre GARÇON, « Un montage inquiétant : le démembrement ab initio du capital social souscrit en numéraire » : JCP N 2003, n° 48, p. 1734).

D’un point de vue juridique, cette technique est une négation du droit des biens : comment démembrer à la source une part sociale non créée au moyen d’un bien seulement susceptible de quasi-usufruit ? Il ne faut pas oublier que les parts n’existent qu’à compter de l’immatriculation et que les apports en pleine propriété doivent nécessairement être rémunérés par des titres en pleine propriété.

Selon Jean-Pierre Garçon, « chacun ne peut (…) être rémunéré en principe que par des titres en toute propriété à partir d’apport en numéraire et le démembrement du capital de la SCI passe par un échange ou des donations croisées de droits démembrés (…) » (article précité dont les principes ont été repris dans le rapport du 98e congrès des Notaires de France, Cannes, ANCF, n° 1299 et s.).

A retenir : Les difficultés juridiques liées au démembrement ab initio sont :

  • Qu’il est impossible de démembrer un bien qui n’existe pas ;
  • Que seules des parts en pleine propriété peuvent rémunérer un apport en numéraire en société

Le risque potentiel ne devient réel que si certains sont intéressés à critiquer l’opération. Si ce schéma est mis en place avec certains héritiers en vue de les favoriser, les autres héritiers pourraient ainsi contester la validité du montage envisagé, afin de solliciter la requalification en donation. Si tous les héritiers y trouvent leur compte, le danger peut venir de l’administration fiscale.

Du point de vue fiscal, des griefs existent également. La constitution dans des conditions irrégulières du démembrement de propriété s’avérerait particulièrement problématique dès lors qu’elle permettrait à l’administration fiscale de démontrer l’existence d’un abus de droit en raison de la fictivité de l’opération (LPF, art. L. 64).

Par ailleurs, le spectre de l’article 751 du CGI plane toujours si l’origine des fonds apportés par les enfants n’est pas déterminée. Il en résulterait au décès de l’usufruitier une réintégration de l’intégralité des parts sociales démembrées pour leur valeur en pleine propriété pour la liquidation des droits de succession.

En outre, avoir recours à un démembrement ab initio permet de faire l’économie d’une donation, événements générateurs de droits de mutation à titre gratuit, situation critiquable par l’administration fiscale. La jurisprudence administrative considère d’ailleurs que « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement au taux de 5 % lorsqu’il s’agit de participation dans des sociétés à prépondérance immobilière, elle juge que la constitution d’usufruit sur les parts d’une telle société entre dans les prévisions de ce texte (CGI, art. 726, I-2°) et qu’il est sans incidence qu’en l’espèce, l’opération ait consisté en une constitution ab initio d’un usufruit par dissociation de la nue-propriété et non en une cession d’usufruit préexistant » (CA COLMAR, 7 nov. 2019, n° 18/02005).

Enfin, se pose la question du financement du bien par l’emprunt. En effet, le remboursement du capital d’un prêt pèse par principe sur le nu-propriétaire, l’usufruitier n’étant tenu qu’au paiement des intérêts de la dette (C. civ., art. 612). Dans l’hypothèse où les loyers du bien – revenant en principe à l’usufruitier – permettent de rembourser l’emprunt pesant sur le nu-propriétaire, tout du moins pour le capital, une donation pourrait être caractérisée. Quoiqu’il en soit, le compte courant d’associés résultant des avances de trésorerie versées par le défunt dans l’acquêt social constituerait un actif successoral taxable.

A retenir : Les difficultés fiscales liées au démembrement ab initio sont :

  • Qu’il encourt la critique sur le terrain de l’abus de droit ;
  • Que la présomption de l’article 751 du CGI s’applique au jour du décès des usufruitiers ;
  • Qu’ils existe des comptes courants d’associés ouverts au nom des usufruitiers.

Il est donc préférable de procéder à la constitution de la société par les parents, ceux-ci recevant des parts en pleine propriété pour ensuite réaliser une donation de la nue-propriété des parts sociales après immatriculation au profit de leurs enfants.