Conseils notaires

SOCIETE CIVILE ET REPORT DU DEMEMBREMENT SUR LES PARTS SOCIALES

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Lorsque dans une même phrase sont employés les termes : « montages, apport en société civile et démembrement de parts sociales », le praticien est toujours soucieux de la validité et des risques inhérents aux opérations envisagées. Dans ce contexte, revenons sur l’apport conjoint de droits démembrés.
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Alexandra Arnaud Emery CONSULTANTE DROIT DES AFFAIRES NCE

La question est simple : est-il possible en présence d’un immeuble dont la propriété est démembrée, de reporter le démembrement sur les parts sociales en cas d’apport par chacun des titulaires de leurs droits respectifs à une société civile ?

L’apport de droits démembrés peut consister en l’apport de la nue-propriété ou en l’apport de l’usufruit d’un bien ou encore dans l’apport des deux droits. Dans cette dernière hypothèse, l’apport de droits démembrés peut avoir pour finalité de reconstituer la pleine propriété du bien au sein d’une structure sociétaire pour en assurer une gestion mieux adaptée à ses caractéristiques.

En cas d’apports conjoints de droits démembrés, les apporteurs se voient chacun attribués des droits sociaux en pleine propriété. Cette attribution est la règle ; sauf clause contraire de l’acte, les apports conjoints de droits démembrés sont rémunérés par des droits sociaux en pleine propriété, pour une valeur correspondant à celle de chaque apport. Il n’y a pas de subrogation réelle de plein droit emportant report du démembrement sur les titres reçus en rémunération des apports.

Toutefois, il est envisageable de reporter le démembrement sur les titres. Ce qui pose problème, c’est le fondement juridique du report.

Si la subrogation réelle ne s’applique pas de plein droit, rien ne s’oppose à une subrogation réelle conventionnelle : le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent valablement convenir du report du démembrement sur les droits sociaux reçus en rémunération de leur apport.

Selon certains auteurs, le report du démembrement soulève néanmoins une difficulté au regard de la problématique de la notion d’associé. Si l’on considère que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé, l’apporteur de droits en usufruit rémunéré par un usufruit sur les parts de la société bénéficiaire de l’apport ne peut pas se voir reconnaître la qualité d’associé. Faut-il dès lors craindre la nullité de l’apport ?

En l’absence de jurisprudence, les avis sont partagés sur ce point.

Certains auteurs considèrent que tout apport en société doit nécessairement être rémunéré par des titres conférant la qualité d’associé. Or, selon la doctrine majoritaire, l’usufruitier ne possède pas cette qualité. En conséquence, il n’y a d’autre issue que de rémunérer les apports par des titres en pleine propriété, au moins un instant de raison. Libre aux apporteurs de procéder ensuite par voie d’échange ou de donation pour mettre en place le démembrement.

Parmi les défenseurs du démembrement direct des parts, deux catégories d’auteurs : ceux qui reconnaissent à l’usufruitier la qualité d’associé et ceux qui considèrent que la validité de l’apport ne doit pas être remise en cause par le simple fait que sa rémunération (par des droits en usufruit) ne confère pas la qualité d’associé. À l’appui de cette thèse, l’article 1843-2 du Code civil semble en effet exiger seulement une proportionnalité entre l’apport et la rémunération. Or il n’est pas contestable qu’en recevant l’usufruit de droits sociaux, l’usufruitier recueille dans son patrimoine une valeur équivalente à celle de son apport.

Certains auteurs pour justifier la subrogation conventionnelle évoquent une réponse ministérielle rendue dans les termes suivants : « Le garde des sceaux fait connaître à l’honorable parlementaire que l’apport simultané de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien à une même société peut, si les parties en conviennent, être suivi du démembrement de propriété sur les titres rémunérant l’apport. Le fondement juridique d’une telle opération fait l’objet d’une controverse doctrinale qui n’a pas, à ce jour, été tranchée par la jurisprudence. Cependant, il pourrait être considéré que le rétablissement du démembrement sur les droits sociaux résulte d’un échange, la clause de report de démembrement, pour produire ses effets, devant emporter renonciation de l’apporteur d’usufruit à sa qualité d’associé au profit de l’apporteur de la nue-propriété qui, en contrepartie, concède un usufruit sur l’ensemble de ses droits sociaux. Certains auteurs sont toutefois d’un avis contraire, et considèrent que le démembrement de propriété affectant les biens apportés se reporte, par le jeu de la subrogation réelle conventionnelle, sur les titres de la société » (Rép. min. de Chazeaux : JOAN Q 27 nov. 2000, p. 6756, n° 48735).

Le débat juridique emporte bien évidemment des conséquences fiscales.

Si l’on admet que, par le mécanisme de la subrogation réelle conventionnelle, la rémunération de l’apport est assurée par des titres directement démembrés, le report du démembrement est fiscalement neutre. En revanche, si l’on estime que tout apport doit donner lieu à une rémunération sous forme de droits sociaux en pleine propriété, l’apport doit être rémunéré, au moins pendant un instant de raison, par des titres non démembrés. Le report du démembrement ne peut alors être opéré que par voie d’échange de droits sociaux, ce qui rend exigible le droit de vente sur les titres échangés ou de donation, ce qui rend exigible les droits de mutation à titre gratuit.

Répondant sur le terrain des plus-values mobilières des particuliers en matière de sursis d’imposition, l’administration fiscale précise que l’apport concomitant de l’usufruit et de la nue-propriété de droits sociaux peut être rémunéré par le jeu de la subrogation, c’est à dire par la remise directe à l’apporteur en usufruit de l’usufruit des titres émis et à l’apporteur en nue-propriété de la nue-propriété de ces titres car si cette modalité n’est prévue par aucun texte, elle n’est pas contraire aux principes généraux du droit des sociétés (RES n° 2006/8, 7 févr. 2006 in BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20-§ 30, 20 déc. 2019).

Partant de ces remarques, si le démembrement ab initio en présence d’apport en numéraire paraît critiquable, le report du démembrement préexistant sur un bien, sur les titres sociaux reçus en rémunération de l’apport paraît davantage admissible.